Les chaises musicales de Kaboul

 

dedefensa.org

Les chaises musicales de Kaboul


Les chaises musicales de Kaboul

• Articles du 5 août 2021. • Ils s’en vont, elle arrive : les soldats de  la puissance US qui domine le pays depuis 1979, quittent l’Afghanistan en déroute honteuse ; au même moment exactement, la Chine prend ses quartiers de coopération protectrice à Kaboul. • L’effondrement afghan du bloc-BAO emporté par une politique américaniste stupide et démente, proclame les voies du changement du monde. • C’est la cartographie extérieure de l’effondrement , – enfin ! – de notre civilisation. • Contributions : dedefensa.org et Sébastien Boussois.

La partition qui est jouée par Pékin à Kaboul est inattendue, par sa rapidité et par la résolution sans masques des principaux acteurs tandis que les figurants se tirent honteusement, – “figurants” désormais, les ramassis de soldats US et de la stupide “coalition” de l’OTAN prenant leurs flingues à leur cou pour en être quitte le plus vite possible. Il est bien possible désormais que la carapate du bloc-BAO avec ses valises pleines de “valeurs” inutilisées et devenues inutilisables, marque un point d’orgue remarquable de l’effondrement de la façade extérieure de la civilisation occidentale, relookée type-“déchaînement de la Matière” et illusions impériales du simulacre américaniste.

Le texte ci-dessous de Sébastien Boussois détaille le triomphe chinois symbolisé par l’investissement important et vif comme l’éclair par la Chine d’un Afghanistan aux talibans vainqueurs mais fatigués, et plutôt bienheureux de profiter du giron chinois. (L’action chinoise se fait en milliards de yuans plutôt qu’en norias de forces spéciales.) Là-dessus, Boussois extrapole en passant à l’offensive générale chinoise dans divers points d’appui mondiaux, pour assurer une sorte de protectorat néo-impérial sur les restes de la domination américano-occidentaliste.

Ce schéma a évidemment sa valeur propre et représente une incontestable vérité-de-situation en formation. Mais nous ne la voyons que temporaire, non par sa faiblesse mais plutôt par sa pertinence dépassée par d’autres événements d’une autre nature que géopolitique, des événements d’une ampleur cosmique. Nous regardons plutôt l’autre face du drame, qui est l’effondrement qui pourrait aller en s’accélérant de l’influence pseudo-impériale du bloc-BAO sur le reste du monde, à la mesure de l’effondrement  intérieur de cet artefact (le bloc-BAO) devenu immondice de l’Histoire.

Le tout compose, comme une symphonie tragique, la vérité-de-situation suprême de l’effondrement de notre civilisation, entraînant techniquement et quasi-automatiquement l’Effondrement du Système dans les fracas de la Grande Crise (GCES). On ne peut donc évaluer les conséquences de la honteuse déroute de Kaboul et sa suite sans prêter toute notre attention aux évènements en cours en Europe (en France surtout, spécialiste de l’avant-gardisme du bordel contre la dictature de la modernité-tardive), et par-dessus tout aux États-Unis, – wokenisme et Covid19 obligent. L’effondrement se fait sur les pentes extérieure et intérieure vers un trou noir commun où les dieux secouent dans un riche gobelet en marbre de Carrare (‘Marmor Lunensis’) les dés de nos restes pantelants pour jouer une nouvelle partie de l’histoire du monde.

Effectivement, sans nier la pertinence d’une analyse géopolitique classique de l’actuelle affirmation de la Chine, nous la jugeons incomplète simplement parce que l’effondrement du bloc-BAO/des USA ne peut pas se dérouler simplement et sans autre fracas, comme une simple et logique passation de pouvoir. Plusieurs arguments vont, selon notre analyse, dans le sens d’un événement « plein de bruit et de fureur » et qui signifie beaucoup...

• “Effondrement d’une civilisation”, certes, c’est bien plus que l’effondrement d’un pseudo-“Empire”, ou plutôt d’une hégémonie brutale (militaire) et corruptrice (influence) comme l’ont manifestée principalement les USA. Nous nous sommes souvent expliqués là-dessus, notamment sur la catastrophe psychologique et civilisationnelle que constituera l’effondrement des USA qui tiennent le monde et sa psychologie sous leur influence subversive depuis bien plus d’un siècle. Il s’agit d’un événement cosmique et nullement de la simple géopolitique.

• Volens nolens, la Chine fait partie de cette civilisation, notamment par son acceptation de l’empire de la technique. Elle subira elle aussi les contrecoups de cet effondrement ; même si elle saura s’y adapter, elle n’en a pour l’instant pas la maîtrise, malgré ses victoires actuelles, simplement parce que personne ne peut maîtriser un tel effondrement d’une telle civilisation, avec ses conséquences, et ses effets apocalyptiques (donc, avec une renaissance cosmique au bout du compte). Les Chinois, pétris de millénaires de tradition et malgré la lèpre de la modernité civilisationnelle, devraient pouvoir s’adapter à ces changements qui échappent à toute domination terrestre.

• Dans cette occurrence catastrophique, la Russie a un rôle important à jouer, autant par sa puissance militaire dont nous ferions qualitativement et psychologiquement la première du monde, que par sa résilience culturelle et traditionnaliste. Par conséquent, les rapports de la Russie et de la Chine, y compris les rêves de “renversement d’alliances” de certains, vont dépendre d’événements impondérables que nul ne maîtrise mais où, dans la brutalité de ces événements, la Russie constituera un roc de granit que nul ne peut prétendre réduire selon les règles classiques du “monde d’avant”.

• La meilleure dynamique et le puissant moteur central de cet effondrement, c’est l’extraordinaire aveuglement, flanquée d’une stupéfiante bêtise et d’une accablante caricature d’hybris, du bloc-BAO et des USA, cette fois mis à égalité pour la perversion de l’esprit, le renversement grotesque des valeurs et la jouissance de barboter dans un simulacre hollywoodien composé à leur propre gloire. Que cette anti-civilisation ait laissé prospérer une totale inversion de la perception par sa propre autocensure éhontée de la vérité du monde, par le développement de mouvements sociétaux d’une puissance aussi étonnante de dynamisme que la bêtise monstrueuse qui les structure (wokenisme et le reste), on ne le comprend qu’à la lumière de l’incroyable débâcle de la science et de ses fabulations de connaissance opérationnalisées face à une pandémie comme celle du Covid 19... Covid aurait dû normalement passer-muscade sans publicité, comme au temps des grippes asiatiques et de Hong-Kong ; au lieu de quoi l’on en a fait bien pire que la peste noir en termes de bouleversements civilisationnels par la grâce étrange de la bouffonnerie des élitesSystème et vaccinées... Si ce n’est, cela, une accélération fatale de l’effondrement et la plus terrible vacherie que les dieux réservaient à la modernité-tardive !

Tout cela, par conséquent, pour en revenir à Kaboul et à la Chine, qui ont leur place dans ce formidable désordre-chaos. Le texte du docteur en sciences politiques Sébastien Boussois, ci-dessous, du 4 août 2021 sur RT-France, décrit « comment la situation en Afghanistan peut changer grâce à l'influence de Pékin, un acteur jusqu'ici très discret sur ce conflit ». Nous avons modifié le titre, originellement : « Comment l’arrivée de la Chine en Afghanistan redistribue déjà les cartes mondiales ».

dedefensa.org

_________________________

La Chine redistribue les cartes mondiales

C’est un nouveau succès déjà à venir de la Chine que l’on a pas anticipé. Un à un, Pékin place ses pions dans l’échiquier géopolitique mondial et cherche à assurer “la relève” diplomatique face à un Occident hostile et affaibli.

En effet, il est loin le temps où l’Occident triomphant cherchait non seulement à renverser des dirigeants autoritaires, y parvenait, exportait la démocratie, et se mettait les nouveaux régimes de son côté. Nous n’avons plus le vent en poupe et nous passons notre temps pour survivre à critiquer les pays, longtemps marginalisés, qui sont prêts à reprendre le flambeau géopolitique. Car il est loin le temps aussi où une guerre engagée par les Américains débouchait forcément sur une victoire et le triomphe des valeurs universalistes et parfois faussement démocratiques de Washington à l’Europe.

Ce que l’on constate depuis quelques années sur le nouvel échiquier géopolitique mondial, c’est une démultiplication des échecs politiques en matière de respect du droit international, une accentuation des tensions occidentales face à un nombre croissant de pays pivots qui ne partagent pas sa vision du monde,  et globalement le recul des “valeurs démocratiques universelles” qu’ils imaginaient pouvoir exporter sans fin. Or, ces pays qui visent depuis longtemps à des aspirations mondiales, de la Chine à la Russie notamment, court-circuitent de plus en plus les Américains qui ne sont pas parvenus à apporter la paix. Un à un, les grandes situations de crises mondiales, du Sahel à l’Afghanistan en passant par la Syrie prouvent qu’il y a une fenêtre d’opportunité majeure pour des pays comme la Chine aujourd’hui. Et l’arrivée en grandes pompes de Pékin à Kaboul, au moment où les derniers soldats US s’en vont, en est la dernière démonstration la plus frappante.

On ne parle que d’elle. La Chine s’est toujours cartographiée au milieu du monde mais est longtemps restée discrète. Désormais, elle a un agenda politique clair, pour allier le texte à la parole, et qui vise à un « impérialisme jaune » depuis la Mer de Chine jusqu’au vieux continent, en passant par les Amériques, l’Atlantique et le Pacifique. L’objectif de la Chine est loin de celui qu’imaginait l’intellectuel Francis Fukuyama, qui il y a des années, la voyait rejoindre progressivement les rives démocratiques de l’Occident. Il n’en est rien et cela lui réussit plutôt bien, dans un monde qui s’autoritarise et se populise, donc pourquoi changer ? L’Occident est lui aussi largement décrié pour son néo-colonialisme qui ne dit pas toujours son nom, ses guerres ratées et sa diplomatie multilatérale qui perds en puissance depuis le mandat de l’ex président américain Donald Trump.

En crise avec Canberra, avec les Européens, avec ses voisins asiatiques, avec l’Inde, le régime communiste est aussi en proie à des tensions inédites d’un point de vue économique avec Washington. Là où l’extension géographique et territoriale ou mentale est bloquée, la Chine poursuit sa conquête mondiale dans des pays autoritaires, des continents instables, ou des pays en guerre. La Chine profite du vide en Afghanistan, et de la panique locale, depuis l’annonce du retrait américain d’un pays où Washington n’est parvenu à peu près à rien en 20 ans. Comble du comble, ce désengagement ouvre un boulevard au régime chinois, qui a ses propres intérêts à conquérir le « heartland » eurasiatique que représente le pivot afghan. Il se passera sûrement la même chose au Sahel, quand la France aura fini d’évacuer ses troupes présentes au Mali, incapables de venir à bout des groupes djihadistes locaux, d’Al Qaïda, et de l’Etat islamique entre autres. La Chine pourra alors proposer ses services et ses devises. C’est « le temps des prédateurs » (1) qui sourit à Pékin, pour paraphraser l’ouvrage de François Heisbourg.

Pékin pourra donc jouer la politique de la chaise vide et surtout remplir le vide abyssal qui s’offre à elle dans de nombreuses zones de conflit abandonnées par l’Occident. Ce que peut Pékin, et qui pose de plus en plus de problèmes à cet Occident moralisateur justement, c’est se rapprocher par des alliances parfois contre-nature, de régimes en place bien contraires aux valeurs démocratiques- ce qui en soi n’est aucunement un problème pour la dictature chinoise bien sûr. La Chine a une ambition mondiale : elle est là pour mettre en place ses nouvelles routes de la Soie, qui de Pékin à l’Europe, lui permettra une main mise économique majeure sur tous les terrains où elle a déjà posé ses valises de capitaux. Et chacun se servira sur le passage car il y a énormément de capitaux en jeu. Mais pas que : l’Afghanistan ne peut basculer dans une nouvelle guerre civile au risque de contrecarrer ses plans. Il faut donc sécuriser le pays, et se rapprocher de ceux qui vont bientôt prendre le pouvoir inexorablement. Et ce sont les Talibans qui font une percée fulgurante depuis quelques semaines, de Kandahar vers Kaboul, comme jamais. Il faut donc pour Xi Jinping se les mettre de son côté.  Leur retour est annoncé depuis des mois. L’Occident a failli là où l’Empire du Milieu qui devient un Empire externalisé réussira sûrement. Stabiliser au nom de la realpolitik puis asservir les pays à ses propres intérêts.

Pendant que Paris et Washington protestent, la Chine a avancé en silence, sans faire de bruit. Elle est désormais partout. Comment bloquer dorénavant cet entrisme qui s’apparente à une nouvelle invasion politique, économique et culturelle mondiale ? Ce n’est plus possible. On assiste à un vrai basculement du monde, un raz de marée géopolitique sur les mers, dans l’air et sur les terres.

Sébastien Boussois

Note

(1) Odile Jacob, Paris, 2020

Comentarios

Entradas populares